J’avais eu les coordonnées d’un couple qui vivait dans des montagnes proches de chez nous, et je décidais d’aller les rencontrer. La façon dont j’en avais entendu parler m’avait incité à leur rendre visite.
Je n’avais pas de numéro de téléphone, juste un lieu. Un petit hameau dans un vallon. Et le prénom de l’homme. C’étaient des indices suffisants pour les retrouver, lui et sa femme.
Et effectivement, je les ai trouvés. Ils vivaient dans la forêt, proche d’une rivière, accompagnés de quelques animaux doux. J’aime observer les animaux qui vivent avec les humains, et ceux-ci étaient particulièrement paisibles.
Ce couple me reçut avec beaucoup de douceur. Jean et Marianne.
Je les ai accompagnés un peu auprès de leurs animaux avant de prendre un petit thé en leur compagnie. L’instant était simple, comme leur maison. Simple et accueillant.
Parmi les quelques sujets abordés, nous avons évoqué les offrandes. Leurs offrandes ressemblaient à celles que nous faisons avec Lucie et les enfants. Je sentais à travers cela une sorte de fraternité. Je sentais une proximité et une joie fraternelle.
Jean évoqua la roue des offrandes qu’ils réalisaient dans l’année.
- Tu viens nous trouver à l’intersaison. C’est un beau moment. Cette intersaison est belle, entre automne et hiver. C’est un bon moment. La pluie qui fait gonfler le ruisseau nous invite à continuer les offrandes à l’eau et à commencer les offrandes spécifiques de l’hiver.
L’été, c’est le temps du feu. Pour équilibrer cela, nous faisons des offrandes à l’eau. A l’esprit de l’eau et aux êtres de l’eau.
J’allais lui demander si c’était aux poissons et autres animaux aquatiques, mais avec son débit calme, il répondit avant que je ne pose la question.
- Tous les êtres de l’eau, qu’ils vivent dans l’eau, dans l’air, sur la terre ou même sous la terre. Tous les êtres, sans exception, y compris même les invisibles.
Il me regarda attentivement, peut-être pour évaluer l’impact de ses paroles. Je restais attentif et présent. Cela sembla être l’attitude adéquate, car il reprit.
- Nos offrandes ne sont pas uniquement des offrandes, mais elles sont des prières. Nous prions avec l’eau, l’esprit de l’eau et les êtres de l’eau. Les humains sont aussi des êtres de l’eau.
Il marqua une courte pause, but une gorgée de thé, et continua. Marianne restait silencieuse, accompagnant de sa présence lumineuse les paroles de son mari. On aurait dit qu’ils étaient en osmose, et que Jean parlait, mais que c’était leur énergie commune qui s’exprimait en fait. L’un ou l’autre étaient deux formes d’une même énergie. Ils étaient comme unis énergétiquement. Harmonieux.
- C’est une bonne chose que tu nous visites aujourd’hui. Oui, une bonne chose. Cela se sent.
L’hiver va venir. Nous avons commencé à donner des offrandes aux oiseaux. Ils viennent nous parler des êtres de l’air. De l’air et des êtres ailés.
Il me regarda à nouveau et me scrutait. Je ne savais pas s’il évoquait uniquement les oiseaux, ou s’il incluait les anges, mais j’imaginais plus facilement la deuxième option. Et même sûrement bien plus que cela.
- En nourrissant l’air, nous préparons les saisons suivantes. Nous participons à maintenir le cycle des saisons. La roue des saisons sur terre. Pour tous les êtres. L’automne, c’est la saison de la terre. Nous voyons les premiers champignons émerger du sol, et les feuilles couvrent les chemins de leurs couleurs brunes. C’est le temps de la terre. Offrir aux êtres de l’air apporte de l’air à la terre. De la prière à l’éther.
Je buvais ses paroles littéralement. Il avait quelque chose de magnétique dans sa façon de parler. Cela s’accordait tellement à leur maison, à la cuisine où ils m’accueillaient au sec et au chaud.
- L’hiver, avec son humidité, sa neige qui recouvre toute la nature, est la saison de l’eau. C’est le moment de faire des offrandes de feu. Une bougie, un feu dans la cuisinière à bois, tous les feux sont bons. Ils apportent un équilibre à l’hiver. Et plus tard, comme tu le sais, avec l’eau qui s’élève dans les plantes, c’est la saison de l’air. Les plantes émergent de terre et s’élèvent, les papillons arrivent avec les premières chaleurs, les abeilles aussi, les oiseaux chantent. C’est le temps de l’air et le temps de faire des offrandes à la terre, aux plantes et à tous les êtres de la terre.
Il y eut comme un soupçon de tristesse à cette dernière phrase. À peine perceptible, mais je l’avais senti. Il fit une pause silencieuse. Marianne lui prit la main en un doux geste d’amour. Il reprit, la voix vibrante d’émotions.
- Il y a quelques années, j’ai écrasé un renard en voiture. Je n’ai pas pu l’éviter. Il est mort dans mes bras. C’était un moment où je ne faisais pas d’offrandes. Ni Marianne. Ce renard est mort dans mes bras, et j’ai rêvé de lui les nuits suivantes. Je sentais que j’avais brisé quelque chose dans l’harmonie de ma vie et dans l’harmonie de la terre. Alors j’ai fait des offrandes aux renards. Un peu de pain beurré, un peu de croutes de fromage, un peu de ce que nous mangeons. Je fais des offrandes au renard. Toute l’année. Il me rappelle que la terre est présente toute l’année. Il m’apprend à être meilleur et à prendre soin de mon prochain, depuis ici, dans notre vallon isolé. Dans ces montagnes que j’aime tant, et ces forêts dont je me sens si proche.
Je ne vous partage pas l’ensemble de notre conversation. D’ailleurs, la conversation fut assez limitée, car nous avons partagé surtout des silences. L’évocation de ce moment avec le renard avait posé une énergie particulière. Comme si les murs avaient disparu et que la forêt était entrée dans la cuisine. Nous étions emplis de présence, de forêt, et d’êtres invisibles. Il se peut même que dans ces présences l’esprit du renard fut particulièrement présent.
Il est des rencontres qui amènent une paix particulière. Une joie sans raison, si ce n’est d’avoir accueilli la magie de l’instant ensemble. Une joie magique, vibrante, comme celle de rencontrer un couple harmonieux, des sages d’une tribu qui marche.
Oui, nous sommes cette tribu qui marche. Puissions-nous chacun trouver nos repères, les êtres qui nous inspirent, et nous laisser enseigner, nous laisser porter la beauté et l’amour dans chacun de nos pas.
Il y a en nous de l’air, de l’eau, de la terre et du feu. Il y a en nous aussi bien plus que cela. Et ces offrandes, faites ici ou là, vont aussi vers chacun de nous. Toute la création est concernée, sans distinction de forme, de couleur. Toute la création.
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