Il y a une histoire que j’aime, non pas parce qu’elle me parle d’une actualité du monde des affaires, mais parce qu’elle est venue d’un autre monde, d’un autre temps.
C’est ce village de pêcheurs du nord de l’Europe. Un petit village de pêcheurs où les pêcheurs sont heureux de ramener du poisson, ces jours fastes qui remplissent les ventres et réchauffent les cœurs. Les jours ternes sont les jours sans poissons. Les jours où la pêche est infructueuse, où les poissons désertent leurs zones habituelles, ou les jours où les courants sont différents.
Les pêcheurs de ce village alternent donc des pêches heureuses et des pêches non heureuses, c’est leur quotidien.
Il y a cependant dans ce village un vieux pêcheur qui est toujours heureux. On l’appelle naturellement le « doux pêcheur ». Car il est d’humeur égale et toujours souriant. Certains ont essayé de connaître le secret de sa joie constante, de son bonheur invariable. Certains viennent de loin pour connaître ses secrets. Et il partage ces secrets avec qui le souhaite.
Il pratique la pêche miraculeuse. Les jours poissonneux, il est heureux. Les jours sans poissons, il pêche quand même quelque chose. Il pêche donc des tissus déchirés que le vent avait emportés pendant qu’ils séchaient sur un fil, des morceaux de bois de vieilles embarcations échouées près du rivage, des coquillages aux couleurs nacrées, et même parfois des bouts de cailloux. Il ramenait toujours quelque chose. Et cela le contentait. Il pratiquait donc la pêche miraculeuse.
Un de ses élèves de passage d’un village éloigné lui demandait ce qu’il faisait de ce qu’il pêchait et qui ne lui servait pas, notamment les objets cassés jetés en mer ou passés par-dessus bord d’un bateau, ou les vêtements troués et usés par l’immersion dans l’eau. En fait, sa réponse fut simple : « je ne m’en occupe plus ». Il déposait cela en un endroit proche de sa maison, et ne se préoccupait pas de qui venait chercher cela. En fait, sa pêche était d’autant plus miraculeuse, que ces objets disparaissaient au fur et à mesure qu’il les déposait. C’était magique. Miraculeux. Cela resta un miracle jusqu’à sa mort, et même au-delà.
Certains de ses élèves lui demandaient si c’était le miracle de la disparition de ces objets qui le rendait si heureux. Il leur répondait invariablement que là n’était pas le miracle. Le miracle, c’était sa joie de voir la vaste mer, de sentir le soleil ou la pluie, de sentir la vie foisonner. Sa joie était de participer à cela et de se rendre compte qu’il accueillait chaque jour un cadeau de l’esprit des mers.
Il en va de même pour nous. Chaque jour, nos espaces de perceptions pêchent des informations, que l’on nomme pensées. Certains sont heureux lorsque des perceptions agréables arrivent et sont malheureux lorsque les perceptions désagréables surviennent. Le pêcheur miraculeux accueille toutes les pensées. Il ne cherche ni à comprendre, ni à interpréter. Il accueille les cadeaux agréables et il accueille les cadeaux des juges, des saboteurs intérieurs, les vieux conditionnements, les schémas parentaux obsolètes ou abimés, les images de souffrances du passé. Le pêcheur miraculeux accueille cela, le laisse émerger, et le dépose. Le miracle est que cela nettoie l’océan de notre conscience. Cela disparait lorsque nous l’avons pêché, saisi à pleine main, et déposé à côté de notre maison. Cela disparait. Le miracle, c’est que cela permet de sentir le soleil, le vent et la pluie. C’est de participer à un monde où nous accueillons en ce monde, chaque jour, un cadeau de l’esprit des vastes océans de l’invisible. Et cela apporte de la joie.
Peut-être que finalement rien ne nous appartient, et rien ne nous appartiendra. Même pas nos pensées.
Peut-être que nous avons juste à accueillir chaque jour, chaque instant, et comme ce pêcheur, rayonnant de notre joie simple, nous inspirions d’autres êtres, nous générons des ondes de joie qui se mêlent aux flots paisibles des vastes océans.
Peut-être qu’après tout, c’est le vaste esprit des océans qui réalise une pêche miraculeuse quand, laissant notre regard plonger dans l’horizon infini, laissant nos perceptions voguer au gré des flots, nous offrons une vibration parfois heureuse, parfois moins heureuse, et l’océan de la conscience accueille cela avec une joie infinie.
Comments