La vie et la mort sont indissociablement liées. Car la mort n’est pas l’autre face de la vie.
L’autre face de la vie, c’est le morbide. Ce qui ne veut pas bouger, ce qui veut contrôler, ce qui veut figer.
La mort est la fin du corps physique et le passage vers une autre étape. Une autre étape de la vie.
Lorsque j’étais au chevet de mon père, il a été merveilleux. Il a gardé sa façon de se relationner avec moi, me laissant avec mes problématiques de reconnaissance à son égard. Il n’a pas fait d’effort pour me rassurer, pour guérir notre relation, pour nous libérer.
Semblant ne pas prêter attention à moi, il s’adressait à chaque personne qui venait le visiter dans sa chambre d’hôpital. Puis dans un de ses derniers sommeils, juste avant que la fatigue emporte sa capacité à penser et parler, il tourna son regard vers moi. Un bref instant. Il murmura d’un ton neutre, en me regardant simplement : « nous nous retrouverons dans l’amour ». C’est tout. Ce fut notre dernière relation. Ses derniers mots dans ma direction.
Il ne m’a laissé aucune chance, aucune échappatoire. Le chemin de guérison, j’avais à le faire seul. Lui avait déjà un pied dans l’amour. Il m’invitait non pas à poser un pardon humain, une guérison humaine entre nous, mais à plonger dans l’amour. Car il n’y a rien à guérir dans l’état d’amour. Rien à pardonner. Cet état est un état vide d’histoires. Vide de mémoires traumatisées et de blessures. Il est un espace infini, sans fond ni fondement. Sans fondations. Car tout repose sur lui. En lui.
L’Amour est le seul espace vibrant qui n’est lié à rien de particulier, si ce n’est le fait de s’y abandonner. Il est vacant, ouvert, il nous tend les bras et nous habille d’ailes de lumière.
J’ai essayé d’en vouloir à mon père. Le seul résultat que j’ai eu fut de voir mes parts blessées, mes parts manquantes, mes parts en colère… ces fragments de ce que je croyais être moi. Mais dans le fond, ce que je suis vraiment, ce qui regardait cela, était un espace infini. Un espace pur. Un espace d’amour.
J’ai accueilli chaque part avec amour, quelle que soit sa forme, sa résistance, son désespoir. Chaque part a accepté de se tourner vers l’amour ; chaque part a accepté de ne pas résister, de ne pas s’enfermer. Chaque petit enfant intérieur s’est levé pour ouvrir ses bras fragiles et tremblant de vulnérabilité pour se laisser embrasser par la Présence. Des bras de Lumière ont enlacé chaque enfant. Enveloppé chaque enfant de mon monde intérieur. L’invitant à s’abandonner, confiant, dans cet espace de pure consolation. Cet espace d’amour, cet espace sans histoire où chaque enfant s’est fondu, devenant une part de la lumière, part indifférenciée.
Mon père a été coquin. Dans l’amour, je ne l’ai pas retrouvé. Dans l’amour, je « me » suis retrouvé. J’ai aussi retrouvé tous les êtres. Il n’y avait là qu’une intense et lumineuse présence. Tous les êtres y étaient. Dans l’amour, il n’y a pas un seul être oublié. Pas un seul être mis de côté. Nous y retrouvons toutes nos vies, tous ces fragments de présents vécus et parfois oubliés.
Dans l’amour, la mort n’existe pas. Elle est juste l’invitation à laisser couler nos larmes, vivre intensément la séparation, puis vivre avec une nouvelle relation.
« Viens, nous dit-elle. Viens nous retrouver dans l’amour. Nous y sommes tous, et toi aussi tu y es. Laisse tomber tes chimères, laisse tomber tes priorités qui n’en sont pas vraiment, et reviens à ce que tu as toujours été, et que tu retrouveras un jour : ta nature véritable, unifiée, pleine et vibrante. Oui, unifiée. Pleine. Vibrante.
Vis le chaque jour. Chaque jour essaie encore. Essaie l’amour. Essaie encore. Essaie à en être ivre d’échecs et de succès. Chaque tentative te rapproche un peu plus de la pleine vie, de l’amour sans attache, de l’amour qui se vit.
Ne crois pas les histoires qui parlent de fin de vie. La vie ne peut mourir. Viens, sois amour. Sois l’amour qui se vit, et tu verras ton regard devenir lumière. Tu verras les anges sur Terre… »
Mon regard a de nombreuses fois butté sur mes jugements et diverses pensées. Depuis quelques temps, il s’ouvre à la lumière. Pas besoin de plisser les yeux.
La lumière n’aveugle pas, elle apporte de la clarté.
Elle pare l’invisible de couleurs vibrantes et elle éclaire chaque particule se sa divine présence.
Et le regard devient éclairé.
Rien n’a réellement changé, les oiseaux viennent toujours picorer quelques graines de tournesol sur le bord de la fenêtre du salon. A regarder leur ballet qui va et qui vient, je remarque peu à peu qu’entre deux battements d’ailes, il y a des étincelles de lumière dorée…
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