Mon père aurait eu 81 ans cette année.
Je mentionne « aurait », car il est retourné au ciel il y a deux ans.
Alors, dorénavant, c’est plus simple de communiquer. Nous n’avons plus besoin de portable. Il « vient » et nous parlons. Oh, assez peu. Nous n’avions pas une très bonne relation de son vivant, et nous échangions peu. Sa mort a changé notre relation.
Hier, il est venu me voir. Je pensais à lui, alors il est « venu ».
Il m’a demandé : « comment me vois-tu ? »
- Je te vois comme lorsque tu étais vivant. La même apparence, mais bien plus jeune que tes dernières années. Je ne saurais pas dire quel âge a ton apparence.
- Oui, nous avons tous l’apparence qu’on nous prête. Nous voyons les autres comme nous souhaitons les voir. Pour notre évolution personnelle.
- Tu veux dire notre évolution en tant que personne ?
- Non, notre évolution en tant que part divine. Parcelle de Dieu. Mais je sais que ce mot est peut-être un peu dur à entendre pour certains. Alors disons comme part de divin. Notre évolution en tant que part. Partie. Non séparée. Comme un doigt qui n’est pas séparé de la main, et pourtant a sa propre singularité.
- Est-ce que tu veux toujours avoir raison dans le ciel, comme de ton vivant ?
- Oh non, Dieu m’en préserve… Ici j’ai appris l’humilité. Je comprends que je ne vois que de façon parcellaire. Même depuis le ciel, je ne vois que partiellement. Alors sur Terre, ma vue était encore plus étriquée.
Je me demandais à quoi pouvait bien ressembler cet être que je découvrais. Un peu comme si je découvrais un nouveau père.
- Tu sais, j’entends tes pensées. Je perçois leur sens et leur couleur aussi.
- Oh ! Alors je ne peux rien te cacher !?
- Pas quand tu m’appelles et que je suis là, près de toi.
- Que voulais-tu dire par « nous voyons les autres comme nous souhaitons les voir » ?
- Je ne peux t’en dire plus. Essaie. Ce soir, regarde ta femme. Regarde ton enfant. Regarde les bien. Sans empressement. Sans penser à autre chose, ou à ce que tu devrais faire après. Sois juste avec eux. L’un après l’autre.
C’est ce que je fis. Le soir même. Je regardais ma femme. Intérieurement, je pensais : « c’est la femme que j’aime. » Et j’écoutais intérieurement. Il ne se passa rien. Pas de grande révélation. Pas d’expérience mystique. Cependant, je sentis mon corps se relâcher. Je sentis un espace s’ouvrir en moi. Un espace où j’accueillais ma femme, et où j’accueillais l’amour. Sans plus d’histoire. La porte était ouverte, et j’accueillais. C’était paisible. Je n’avais rien d’autre à faire d’urgent. Rien d’autre à faire ou à penser. L’espace intérieur se dilatait. Lorsque cela voulait partir sur d’autres pensées, je revenais à cette simple phrase « c’est la femme que j’aime ». Et je percevais ensuite.
Je sentais l’amour présent. Un espace ouvert. Pas l’amour de quelqu’un : ni le mien, ni le sien. Juste l’amour. Un espace ouvert. Paisible et vibrant.
Je savourais cela.
Combien de fois savourons-nous l’amour ? Il est pourtant là. Que ce soit avec une fleur, un oiseau, un rayon de soleil… il est là. Il se manifeste pour qu’à notre tour, l’accueillant dans cet espace qui s’ouvre, nous devenions vibration.
La terre aime. Oui, à travers nous, elle aime. Alors soyons son amour. Soyons une de ses manifestations d’amour, autant que nous le pouvons.
Je compris aussi, à travers le message de mon père, que je percevais les êtres selon un prisme. Et moi-même, je me perçois à travers un prisme. Il suffit de voir la différence entre un moment « normal », où nous sommes inattentifs à la présence, et un moment où nous nous posons et laissons l’espace intérieur se manifester. En apparence, d’un point de vue extérieur, rien ne change. Mais d’un point de vue existentiel, tout est différent. Tout existe différemment. Comme si ce qui vous entoure venait d’apparaitre et était perçu depuis un espace paisible, vaste et paisible.
Oui, nous pouvons nous percevoir depuis une vue étriquée, un peu rapide sur les choses. Et nous pouvons nous poser. Simplement nous poser. Poser notre rythme de penser. Poser notre rythme de faire. Juste nous poser et accueillir l’amour de la terre qui se manifeste d’une manière ou d’une autre autour de nous.
Comment aimer la terre si nous ne prenons pas le temps d’accueillir son amour ? L’accueillir à travers une expérience paisible, vaste et ouverte.
Mon père vint à nouveau me voir. J’étais en train de vivre cette expérience d’ouvert et de vastitude. Il me mentionna que j’avais pu le faire avec ma femme, ma « bien aimée ». Est-ce que je pouvais le faire avec lui ?
Je constatais que nous avions eu une relation compliquée. Bien que le fond soit un fond d’amour, nous nous sommes mal aimés. Difficile d’accueillir ce qui est empli d’histoires et d’oppositions, de blessures répétitives. Je regardais cela. Je sentais mon corps se rétracter, la vastitude s’amenuiser fortement.
Mon père m’invita à nouveau à l’accueillir. « Prie pour moi » me demanda-t-il.
- Mon orgueil, comme tous les orgueils, a blessé. J’étais inconscient. Et là je vois. Je regrette. Mais je ne peux rien faire. Toi, tu as ce pouvoir. Vous pouvez soigner et réparer sur Terre ce qui est sur Terre. C’est votre niveau d’énergie. De là où je suis, je n’ai pas accès à cela. Je suis au début du ciel. J’ai fait de bonnes actions dans mon existence, mais j’ai aussi causé beaucoup de torts. Si tu m’accueilles, si tu me pardonnes, ce sera une belle guérison.
- Je ne peux pas te pardonner. Je n’y arrive pas. Comment pourrais-je changer le passé ?
- Le passé ne peut être changé. Il est écrit. Quelque part cela est écrit. Mais ces écrits ont une couleur. Tu peux changer leur couleur. Leur énergie. Tu peux pardonner. Libère nous de nos dettes. Souviens-toi de cette traduction que tu as entendue du Notre Père, « libère-nous de nos dettes comme nous libérons nos débiteurs… ». Je ne te demande pas de m’excuser. La situation est passée. J’ai fait de mon mieux, tu comprendras peut-être mieux quand tu seras ici (au ciel). Mais tu peux pardonner. Me libérer… et te libérer.
Un silence suivit. Je cherchais comment faire. Mon père reprit la parole :
- Tu sais, c’était Sa volonté. Ce qui se passe sur terre suit des trames et circuits inimaginables. Même de là où je suis, je ne peux pas le percevoir complètement. Mais j’ai une autre perspective. Ma grande erreur a été de croire si fort en la matérialité. En l’éphémère. Je n’ai pas accueilli l’éternité. Et je n’y ai toujours pas accès. Quelque chose me retient. Comme un poids laissé sur terre. Prie pour moi, mon fils.
Cette dernière phrase me fit frissonner. Son fils était un concept empli d’histoires et de ces blessures. J’avais du mal, et en même temps je sentais une profonde compassion pour sa demande. Je sentais que notre gros différent venait de ce « mal aimer » et que si je souhaitais un chemin d’amour, j’avais à passer au-delà de mes jugements, au-delà des blessures, au-delà d’un passé qui semblait figé.
Alors j’ai prié. Prié pour mon père. Pour l’aider dans son ciel. J’ai senti qu’en priant, je n’étais pas seul à prier. Je ne sais pas si c’était un ange qui priait à mes côtés, ou mon père avec une autre énergie (car il semblerait que le temps n’existant pas dans le ciel de la même façon, il puisse venir de son futur plus lumineux pour aider son présent en difficulté ; il se peut même que cet ange soit mon « moi » futur, empli de lumière pure). Je ne sais pas qui priait, mais nous étions en train de prier. Humblement et avec ferveur.
Je ne sais pas ce que cela a fait pour mon père, car je n’en ai pas encore d’écho. Ce que je sais, ce que j’ai clairement senti, c’est qu’il s’est passé quelque chose de bénéfique. Sans que je puisse déterminer à quel niveau, ni pour qui.
Est-ce que je suis dorénavant dans l’amour vis-à-vis de mon père ? Non. Je vois encore le personnage. Il a joué un rôle dans lequel je l’ai enfermé : la personne qui m’a fait souffrir depuis mon enfance, le méchant. Qu’il est facile de classer quelqu’un dans un rôle et de le laisser avec ce costume.
J’ai moi-même, et nous avons tous, à un moment ou un autre, joué ce rôle pour quelqu’un. Même sans le vouloir ou avec de belles intentions, nous avons joué ce rôle du méchant, tout comme nous avons joué d’autres rôles. Souvent à notre insu.
Avec mes connaissances actuelles, je peux voir chez mon père ces parasites. Il canalisait des ciels bas, grâce à ses parasites qui le reliaient à des croyances, des conditionnements, des vibrations… qu’il exprimait en tant que canal. Car nous sommes tous canal d’une vibration ou d’une autre. Et cela sur terre, comme au ciel.
Je fais des prières pour mon père, et pour moi. Des prières de libération. J’apprends à le voir comme un canal, et à le sortir progressivement de ce rôle dans lequel je l’avais enfermé.
Notre relation change. Je ne peux pas décemment lui laisser le rôle de « mal aimé » si je suis un chemin spirituel. Il n’a pas été le père parfait, idéal, d’après l’idéal d’un enfant qui a besoin d’affection. Mais il a été le père qui m’a été octroyé pour cette incarnation. Il y a mieux, il y a pire. Peu importe, c’est celui-là qui m’a été octroyé, tout comme cette mère-là.
Que l’un ait été plus agréable que l’autre, cela n’a plus d’importance aujourd’hui. Il n’y a rien à comparer. Tout est à lâcher. À abandonner dans les mains du divin. Abandonner les rancœurs, les histoires sordides, les blessures auxquelles nous nous accrochons comme pour justifier une souffrance… abandonner ce passé. L’offrir en cadeau au feu de la libération. Faisant cela, nous libérons des lignées entières. Nous libérons aussi d’autres êtres. Sur Terre et dans les ciels.
Il se peut qu’on ne puisse ni bien aimer, ni mal aimer. Il y a amour ou pas. Il y a espace ouvert, vaste, ou pas. C’est cet espace qui est amour. C’est cet espace que nous pouvons nettoyer, libérer, afin qu’il nous montre de nouvelles choses. Qu’il nous relie à des ciels plus élevés, plus proches d’une pure lumière.
Accueillir et accueillir encore ce qui encombre. Faisant cela, nous ne sommes pas seuls. Il y a un ange à nos côtés. Nous sommes soutenus. Accompagnés. Cela se fait ensemble. Ce « travail » d’accueil et de nettoyage agit sur la terre et au ciel. Cela nettoie la terre de miasmes et ouvre les nuages gris des ciels bas. Tout ceci depuis un seul endroit. Il est au centre de l’être. Un espace magique. Un espace où tout est possible.
Chaque libération est un pas de plus vers une terre pure et un ciel de lumière.
Sentir cet espace comme un diaphragme, qui s’ouvre et se referme, est un vrai cadeau. Nos peurs, nos jugements, nos urgences referment cet espace, alors que le calme, l’assise, l’accueil et la transformation ouvrent cet espace. C’est notre capacité à laisser ce canal ouvert qui détermine le flux d’amour capable de nous traverser.
Grâce à mon père, j’apprends cela. J’apprends à prier, à libérer et à aimer. Ce qui m’embête un peu, c’est que finalement il m’apprenne des choses. J’aurais tant voulu lui laisser ce rôle de méchant, et là il devient enseignant. Qui plus est, sur un chemin d’amour. Je ne l’aurais jamais imaginé auparavant. Je n’aurais même pas imaginé que j’aurais pu un jour le remercier.
Le temps ne transforme pas les choses. Le temps n’est pas magique. C’est l’utilisation de chaque instant qui amène une magie. Si nous utilisons chaque instant à revenir à l’amour, alors patiemment, à force de persévérance, chaque prière, chaque méditation nous approche un peu plus de cette vastitude. Il se peut que ce soit le meilleur usage du temps que nous puissions faire : revenir à cet ouvert qui libère des énergies d’amour dans toutes les directions, dans toutes les dimensions.
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