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Aigle



Dans le cadre de nos retraites dans la forêt, une retraitante avait souhaité rencontrer quelqu’un qui travaille avec les esprits de la nature. Oriandre lui avait donc rendu visite à diverses reprises, lui dispensant un enseignement en lien avec ce qu’elle vivait dans la forêt.

Le dernier jour, nous allions Oriandre et moi l’aider à porter ses affaires car elle avait un campement bien fourni.


Lorsque nous sommes arrivés près de son emplacement, Oriandre me proposa de faire une pause. Me montrant du doigt Hélène, je perçus qu’elle était en train de dire au revoir à l’espace de forêt qui l’avait accueillie, et elle prenait le temps de saluer les arbres, les esprits du lieu…

Nous étions donc assis Oriandre et moi sur le sol, invisibles à Hélène, un peu en contrebas de son emplacement.


Un geai vint sur une branche proche. Oriandre, ayant entendu ou aperçu le geai, scruta les alentours. Finalement il me montra le ciel et murmura : « regarde à travers les branches. Là haut. »

Je jetais un coup d’œil dans la direction indiquée et vis le geai. Je le regardais faisant une petite grimace pour lui indiquer que j’avais bien vu l’oiseau sur une branche en hauteur du chêne proche. D’un signe discret il m’invita à regarder de nouveau.


Je regardais vers le geai, et derrière lui il y avait le ciel bleu et ensoleillé, avec quelques nuages. Enfin c’était ce que je pouvais discerner entre les feuillages des chênes proches. J’allais baisser le regard quand je sentis un mouvement dans le ciel. Je le sentis avant vraiment de le voir. Je focalisais mon attention, et je vis un rapace tournoyer.

Il fit quelques cercles dans le ciel, sans que je ne puisse vraiment le distinguer suffisamment pour savoir ce que c’était. En fait, j’essayais surtout de trouver une explication rationnelle à ce que je voyais : il planait comme un aigle et je n’avais pas vu d’aigle dans le coin en trois ans que j’habitais dans la vallée. Ce devait être une buse. Mais je n’arrivais pas à bien voir.

Après avoir tournoyé en cercle à proximité, il s’éloigna en planant vers l’ouest.


Je regardais Oriandre qui souriait. Je lui chuchotais :

- C’est un beau rapace. Il est parti vers l’ouest, ça doit signifier quelque chose. Sûrement en lien avec Hélène.

- Attends un peu et regarde me répondit l’ancien avec le regard brillant.


Je regardais à nouveau, et assez rapidement je distinguais entre les feuilles et les branches le rapace planer et revenir de l’ouest pour tourner en cercles de plus en plus proches de nous. Finalement, après un cercle, il plana droit en direction de l’est. Il allait passer au-dessus de nous, et je pourrais voir clairement si c’était une buse. Je souhaitais surtout enlever ce doute quant au fait que c’était un aigle, bien que sa présence et sa façon de voler y ressembla fortement. Au-dessus de nous, les arbres étaient plus clairsemés, je pourrais alors le distinguer clairement. Je le vis donc distinctement les ailes grandes ouvertes bien au-dessus des frondaisons verdoyantes, et au moment de sortir du couvert forestier, il n’y eut aucun oiseau. Je scrutais le ciel, je me déplaçais un peu, l’oiseau avait disparu. Je me tournais surpris vers Oriandre qui me regardait en souriant et me fit oui de la tête.


Je me demandais à quelle question il répondait oui : l’oiseau a-t-il vraiment disparu ? Était-ce un aigle?

Il sourit encore plus largement et me murmura : « Oui, c’était bien un aigle. Un grand esprit de la forêt. Un grand esprit. La forêt a parlé. Oui, il a bien disparu. Pas la peine de t’agiter à le chercher dans le ciel. »


J’étais interloqué. Était-ce la présence d’Oriandre qui m’avait permis de voir cet esprit ? Je n’eus pas le loisir de trop réfléchir, car l’Ancien s’était levé et marchait d’un pas tranquille vers le campement d’Hélène qui était déjà rangé. Elle nous attendait debout à côté de ses affaires. Oriandre prit un moment pour lui évoquer l’aigle et ce qu’il en avait perçu comme message. Il lui évoqua cette vision, cette présence, et les encouragements que cela manifestait dans le chemin de guérisseuse de Hélène. J’écoutais avec attention. D’ailleurs, alors qu’il parlait, il avait quitté le sourire avec lequel il avait accueilli ma surprise et parlait d’un ton solennel. Comme un ambassadeur des esprits de la forêt. Il finit cependant d’un ton joyeux, pendant que Hélène finissait de pleurer (elle avait commencé de pleurer dès qu’il avait commencé à parler).


Nous nous sommes ensuite affairés à descendre les divers sacs du campement.


Les sorties de retraite sont des moments assez intenses, entre la rencontre avec les autres retraitants, l’équipe qui les a accompagnés, les recommandations pour l’intégration de la retraite dans les jours suivants, le rangement dans les voitures et les téléphones qui s’allument pour donner les premières nouvelles à la famille... J’étais donc assez occupé et pendant ce mouvement, Oriandre prit congé. Il se retira pour rentrer chez lui discrètement.


Une fois que tout fut fini, que les retraitants furent partis, qu’il n’y avait plus grand-chose à faire, je me posais un instant et repensais à la scène. Je sentais que je venais de vivre quelque chose de particulier. Quelque chose de magique. On ne sait jamais par quel biais la création se manifeste pour nous encourager. Pour nous rappeler que nous sommes profondément en lien avec le divin, notre nature divine. Parfois il s’agit d’un rêve, parfois d’une intuition, parfois un livre, une parole prononcée par autrui, une rencontre… il y a une magie ambiante. Un encouragement à continuer. Plonger dans cette magie, sans forcément chercher à comprendre. Juste s’imprégner de cette magie. Avec confiance. Avec foi. Et savourer cette existence. Il y a toujours une réponse à nos questions. Une réponse qui vient d’ailleurs. Lorsque nous avons une question, pas besoin de réfléchir trop longtemps. Pas besoin d’insister. Pas besoin de partir dans un ailleurs intérieur. La réponse arrive toujours au bon moment. Nous avons juste à rester ouverts. Patients. Et cela se manifeste. Et nous sentons que cela vibre en nous. Comme une évidence. Sans chercher à comprendre ou maitriser quoique ce soit, l’évidence est une manifestation naturelle. La magie de la vie opère naturellement. La vie envoie des messages à notre intention, et il ne tient qu’à nous d’écouter, d’accueillir ces messages.

Je m’assis sur une chaise dans mon jardin, à la lisière de la forêt. Je sortis ma pipe de cérémonie et en remplis le foyer d’herbes à fumer. Puis je l’allumai et laissai les bouffées de fumée accompagner mes pensées vers ce ciel si mystérieux.

Un avion passa haut dans le ciel, laissant derrière lui une ligne droite toute blanche. Sur une branche proche, un geai poussa un petit cri. Mon cœur était paisible et heureux. Tout était à sa place.

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